Photo-reportage Agence Rol à Paris en 1923

L’inconnue à la Une des médias parisiens

Pourquoi un photographe de l’agence Rol a-t-il couvert ce sujet il y a maintenant un siècle et, que ne raconte pas cette photo ?

Cette photo surprenante, qui fut découverte par hasard, fut repérée en parcourant le site web de la Bibliothèque nationale de France, à la recherche d’une illustration datant de manière précise de 100 ans. De prime abord, je pensai à un cortège mortuaire : la photo en noir et blanc, le cocher tout de noir vêtu, les hommes alentour portant chapeau et cravate, la chaussée ruisselante… Cet étonnant attelage arborant le chiffre 1, couvert de paille et de fleurs, traversant un pont de Paris, était en vérité un défilé de carnaval. Celui de la Reine des abeilles, qui traversa le pont de la Concorde à la Mi-Carême en 1923, comme le mentionne la légende de l’agence Rol.

Un carnaval à Paris ; une reine des abeilles ? Quel était donc cet événement survenu il y a un siècle et qui n’a laissé aucune trace dans la mémoire des Parisiens, si ce n’est cette photo énigmatique ?
Le trop bref descriptif accompagnant la photo : « Le jeudi de la Mi-Carême, 8 mars 1923, le char de la Reine des Abeilles 1923, Geneviève Durand, passe sur le pont de la Concorde », ne pouvait satisfaire ma curiosité. Je n’allais pas être déçu : l’histoire est pathétique, le photographe aurait eu une vision divinatoire…

« Triste Mi-Carême, les abeilles mouillées traversent Paris dans leurs voitures-ruches », titre le journal du soir La Presse. Ce jeudi 8 mars 1923, comme chaque année, le comité des arrondissements de Paris a organisé le carnaval de la Mi-Carême. « On n’aura pas de reine des reines, mais on élira la reine des abeilles », lit-on dans Le Quotidien du même jour. Il pleut, peu de Parisiens assistent à la parade composée de vingt landaus et deux escadrons de la Garde républicaine. Le défilé est parti à 2 h 05 de la rue Lobau, derrière l’Hôtel de Ville, pour arriver à 4 h 30 devant le Gaumont-Palace, où la reine des abeilles a été élue.

La Reine des abeilles une jolie inconnue qui, par son travail, vient en aide à sa famille stipulent les médias parisiens

L’heureuse élue est une abeille du IIe arrondissement. Geneviève Durand est une jolie blonde de vingt ans, sténo-dactylo qui vient en aide par son travail à cinq petits frères et sœurs. Elle recevra une dot de 25 000 francs offerte par le bureau du Comité des fêtes, apprend-on dans les colonnes du Gaulois le lendemain.
La Reine des abeilles s’est ensuite rendue à l’Élysée, où le président de la République l’a félicitée, puis à l’Hôtel de Ville, où le président du Conseil municipal lui a remis une montre-bracelet d’or.

Une photo fait la une des médias
La Reine des abeilles, Geneviève Durand, quitte l‘Élysées le 8 mars 1923. Photo : Agence Rol

Nous apprenons un an plus tard, le 9 mars 1924, sous la plume d’un journaliste du quotidien La Liberté, qui s’est rendu au cabinet de travail de la Reine des abeilles pour l’interroger sur la question de la dot qu’elle devait recevoir le 31 décembre 1923. En voici la teneur :

« C’est sur la délicate question de sa dot que nous avons posé une question, à la jolie “abeille”. Mlle Geneviève Durand, sans la moindre amertume, sans aucune allusion désagréable au comité et à son président, nous dit simplement :
— Le comité des fêtes devait me verser intégralement une dot de vingt-cinq mille francs le 31 décembre…
— À condition, n’est-ce pas, que vous n’ayez pas contracté mariage entre le jour de votre élection et cette dernière date. Or, si mes souvenirs sont exacts, vous étiez fiancée…
— En effet, répond en souriant la jeune fille, je le suis encore. Mais comme je n’ai pas encore contracté mariage, je remplis donc les conditions fixées.
— … Alors ?
— Alors, poursuit Mlle Durand, je n’ai pas touché les vingt-cinq mille francs ! On m’a fait remettre six mille francs comme acompte avec promesse de me verser le complément par la suite. D’abord, on m’a dit fin janvier, puis au commencement de mars, enfin le dernier jour de ce mois, à moins que ça ne soit au jour de l’élection de la prochaine reine des abeilles, comme le bruit court. J’attends avec tranquillité, vous le voyez, et je ne m’en émeus pas autrement. »
Mlle Geneviève Durand a raison. Dans un sourire gracieux, elle nous annonce qu’elle se mariera le 8 mai prochain.

Nous ne saurons pas si la Reine des abeilles a touché l’intégralité de sa dot. Les membres des comités d’arrondissements s’étant désolidarisés du siège, le projet de cortège de 1924 fut abandonné.

L’agence Rol a cessé son activité treize ans plus tard. Son fonds photographique est désormais archivé et restauré à la Bibliothèque nationale de France.

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